« Two lovers », James Gray
USA - 2008, 1h50
En seulement trois films, « Little
Odessa » (1994), « The Yards » (2000) et « La Nuit nous
appartient » (2007), James Gray s’est imposé comme un réalisateur majeur
du film noir américain. Explorateur inspiré des bas-fonds des faubourgs
new-yorkais, il n’a de cesse de décliner dans son œuvre, âpre et sombre, le
thème de la famille, la mafia et de la fatalité du destin ; mais James Gray aime à
brouiller les pistes et, las de jongler avec les codes du film de genre, il
décide de faire « un film authentiquement émotionnel autour d’une trame
simple ». Le résultat est « Two lovers », drame romantique
moderne, une histoire d'amour et d'illusions perdues.
Leonard (Joaquin Phoenix) revient vivre chez
ses parents à Brooklyn dans le quartier de Brighton Beach, après avoir vécu un
douloureux échec amoureux. Il fait la connaissance de deux femmes très
différentes l’une de l’autre ; la douce et aimante Sandra (Vinessa Shaw),
fille d’ami de ses parents, et Michèle (Gwyneth Palthrow), sa belle et
inconstante voisine, dont il tombe éperdument amoureux. Leonard se retrouve
déchiré entre ces deux femmes.
Partant d’un scénario de facture très
classique, celui de la romance sentimentale, James gray opère une
déconstruction magistrale de la comédie romantique pour basculer vers le drame
existentiel. Le nœud de l’intrigue, c’est la déchirure d’un homme partagé entre
raison et passion ; raison, incarnée par Sandra, compagne désignée, lui
laissant entrevoir une vie tranquille et rangée; et passion, celle qu’il
éprouve pour Michèle, le coup de foudre absolu. Choix cornélien d’un amoureux
transi dont l’amour n’est pas partagé, Michelle étant très éprise d’un homme
marié, lui aussi insaisissable. C’est finalement là que réside toute la tension
tragique, leur commun entêtement à aimer des êtres qui leur échappent. Dès leur
première rencontre, Leonard et Michèle semblent se reconnaître ; une même
fragilité à fleur de peau, un même sentiment d’égarement. Car si Michèle
cherche dans le LSD un antidote à son angoisse, Leonard, lui, est hanté par le
suicide. C’est d’ailleurs par là que commence le film, par un saut désespéré
dans un fleuve froid et obscur. S’il est sauvé des eux, la fêlure intime, elle,
persiste.
Drame existentiel en même temps que tragédie familiale ; et l’on retrouve l’une des obsessions du cinéma de James Gray. Fils d’immigrés juifs new-yorkais, Leonard travaille dans la blanchisserie de son père (Moni Moshonov). Couvé par une mère inquiète (Isabella Rosselini), il se sent à l’étroit dans cet univers familial. Il n’arrive pas à voir Sandra parce qu’elle représente la soumission au modèle paternel. A l’inverse, l’inconstance de Michèle l’attire parce qu’elle lui offre une autre alternative, celle d’une vie en rupture, loin du déterminisme social. Ce duel intime, Joaquin Phoenix l’a parfaitement saisi. L’intensité avec laquelle il restitue la transe propre à l’état amoureux est saisissante. Tour à tour, béat, éperdu et maladroit, son jeu exploite toute les facettes de la sensibilité; face à lui, Gwyneth Palthrow, nouvelle évocation de la blondeur hitchcockienne, a la beauté et la grâce du fruit défendu.
Somptueux crève-cœur d’une passion sur le fil, Two lovers » est sans conteste l’œuvre la plus personnelle de James Gray. A chaque plan, une émotion foudroyante ; peinture d’une défaite amoureuse, « Two lovers » est une expérience sensible de la tristesse résignée. A couper le souffle…