« Capitaine Achab », Philippe Ramos
FRANCE - 2008, 100'
On se souvient de la dernière adaptation du célèbre roman
d’Herman Melville, « Moby Dick » de John Huston (1956) ; si pour
le réalisateur de « La grande évasion », ce film restera le plus
périlleux et le plus complexe de sa carrière (deux ans de tournage, production
en extérieur rarissime pour l’époque, dépassement de budget de 50%), il demeure
un chef d’œuvre du film d’aventure, l'histoire d'un homme ravagé par un
instinct de vengeance.
Présenté en Compétition au Festival de Locarno 2007, « Capitaine Achab » a été
récompensé par le Prix de la mise en scène et le Prix Fipresci (presse
internationale). Prenant à contre-pied l’odyssée marine de Huston, Philippe
Ramos a imaginé une version étonnante, plus personnelle et très dépouillée, du
roman de Melville, en choisissant de raconter toute l’existence du capitaine
Achab, de la naissance à la mort -et non pas une étape de sa vie, comme c'est
le cas dans « Moby Dick ». Sur les cinq chapitres du film, quatre
sont une création pure, seul le dernier tableau « Starbuck » croise
le roman de Melville. Au spectaculaire, Philippe Ramos –dont c’est le 2ème
long-métrage- a préféré l’intime, entre onirisme et simplicité réaliste.
Portrait d’un homme, qui finira par devenir l’emblème du héros d’aventure,
« Capitaine Achab » s’attache à raconter le comment et le pourquoi
d’une telle destinée.
Le plan d’ouverture, absolument superbe, d’une blancheur virginale,
dévoile le sexe de la mère morte en couche, bientôt recouverte de son linceul.
A peine né et déjà orphelin, un destin marqué du sceau du malheur. Elevé pour
un temps par un père homme des bois (Jean-François Stévenin), puis par sa tante
Rose (Mona Heftre), une bourgeoise bigote, le jeune Achab grandit seul, sans
attache, avec pour seuls compagnons, la vieille bible de sa mère et le
médaillon de la belle et sauvage Louise, qui le suivront jusqu’à la mort.
L’identité d’Achab se construira en rupture avec tous les modèles d’éducation
qui lui seront imposés. Plus tard, recueilli par le pasteur Will Adams (Bernard
Blancan), il découvrira la mer, unique salut de cette âme éperdue.
Porté par des comédiens remarquables, presque tous issus du
théâtre -Denis Lavant, Dominique Blanc, Carlo Brandt, Jacques Bonnaffé, Mona
Heftre-, avec en bonus, la prestation absolument jubilatoire de Philippe Katerine en dandy
XIXème, « Capitaine Achab » dépoussière le film historique. Il est une expérience cinématographique dont on ressort fasciné et admiratif. Le choix de la voix off comme outil narratif principal
fait penser les personnages à haute voix et ouvre le film à une surprenante
variété de style. Jamais on entendra la version d’Achab ; toujours, la
voix de l’autre qui, acteur ou spectateur, parlera de cet être échappant à
tous les cadres et à toutes les définitions. Le travail du chef-opérateur, Laurent Desmet, est rare. La picturalité très sophistiquée -cadres, composition des plans,
lumière- met en image l’imaginaire poétique de Philippe Ramos ; on garde longtemps en mémoire l’image finale d’un Achab géant dominant l’océan tout
scintillant d’une lumière venant du fond des eaux, allégorie éblouissante de la
baleine Moby Dick. Le film se termine comme il a commencé, dans une clarté céleste.