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Le ciné de gg
19 décembre 2007

« La Graine et le mulet », Abdellatif Kechiche

AfficheFRANCE - 2007, 157'

Salué par une critique enthousiaste, couronné par des prix prestigieux –Prix spécial du Jury et Prix de la critique internationale à la 64ème Mostra de Venise, Prix Louis Delluc 2007, « La Graine et le mulet » arrive sur les écrans français accompagné d’une presse élogieuse pour ne pas dire dithyrambique. L’année dernière, c’était « Lady Chatterley » de Pascal Ferran qui avait créé l’événement ; alors « La Graine et le mulet », César du meilleur film 2007 ? Les paris sont lancés…

Le troisième long-métrage du réalisateur d’origine tunisienne Abdellatif Kechiche, après « La Faute à voltaire » et « L’Esquive » est une œuvre forte, d’un humanisme saisissant. Le cinéaste s’inspire de son enfance et du milieu dans lequel il a grandi, celui des immigrés maghrébins, venus travailler en France dans les années 60. Le film propose une réponse sur ce qu’est aujourd’hui devenue cette main d’œuvre anonyme, à l’heure de la mondialisation et de la mécanisation du travail ouvrier. Monsieur Benji, vieil employé d’un chantier naval, se fait licencié car il n’est plus rentable. Il décide alors de réaliser son rêve, ouvrir un restaurant de couscous de poisson sur une péniche. Malgré ses maigres revenus et le scepticisme des banques et de l’administration locale, son projet va peu à peu voir le jour grâce à la solidarité de ses proches et leur sens de la débrouille.

Bien plus que de nous raconter une histoire, « La Graine et le mulet » rend la vie au cinéma ; si le projet du vieux Beiji sert de fil conducteur, c’est la famille du héros au sens large, ses ruptures et ses tensions, qui en forme le cœur. Elle emporte le film dans un tourbillon de vie, rarement aussi bien incarné à l’écran. Le récit se développe en spirale, intégrant progressivement tous les personnages au gré du quotidien. Filmant au plus près des corps, très souvent en gros plans, Abdellatif Kechiche  cherche à capter ce qui ne se voit pas, la vérité intime des femmes et des hommes qu’il met en scène. L’alchimie fonctionne par la coïncidence entre temps réel et temps narratif. Par le choix de longs plans-séquences, le cinéaste prend le temps et laisse ses personnages aller jusqu’au bout de leurs émotions. De cette façon il arrive à saisir la réalité en relief, telle qu'elle est, sans artifice et sans idéalisation. Quitte à oser des scènes inconfortables -celle où Fatima s’énerve contre sa petite fille pour lui apprendre à faire pipi dans le pot-, voire douloureuses -la séquence finale en montage parallèle où le vieux Beiji s’épuise à courir après sa mobylette tandis que Rym est emportée dans une danse lancinante.

Famille« La Graine et le mulet » repousse toujours plus loin les limites entre fiction et réalité, entre ce qu’il convient de voir et ce qui est, quitte à emprunter au genre documentaire son esthétique et son langage. D’où un sentiment fort d’étirement et de fragmentation du récit; plutôt que de se réduire à un synopsis, le film pourrait se raconter en scènes, celle du pot, des démarches administratives, du repas dominical etc. Admirablement pris à bras le corps par des acteurs, majoritairement amateurs, trouvés sur le lieu de tournage, les dialogue sont un échos sonores au réalisme des images. Les paroles fusent et inscrivent définitivement l’appartenance sociale des personnages. Jamais une fausse note, toujours le parlé « vrai », la langue populaire, celle du quotidien. Volubiles, ce sont les femmes que l’on entend le plus. Pour cause, ce sont elles qui mènent le monde dans le cinéma de Kechiche ; Le regard amoureux qu’il porte sur elle rappelle « Volver » d’Almodovar. Les femmes dans toutes leurs nuances ; Karima (Faridah Benkhetache), femme de tête, nerveuse et autoritaire, Julia (Alice Houri), jeune épouse trompée, fragile et effacée, Souad (Bouraouia Marzouk), la « mama » musulmane typique , Latifa (Hatika Karaoui), indépendante et fière ; sans oublier l’éblouissante Rym (Hasfia Herzi), la fille de Latifa, fille d’adoption du patriarche, à l’énergie et la sensualité troublante. Sa prestation lui a d’ailleurs valu de remporter le Prix Marcello-Mastroianni, récompensant le meilleur espoir à la Mostra de Venise. Fille-femme, elle laisse éclater une sensualité brute, lors de la dernière séquence du film, d'une épuisante intensité. Devant tous les invités, elle se met à danser avec l’énergie du désespoir . Véritable Salomé, son corps ondule en transe au rythme de la musique.
Loin des clichés, les hommes et les femmes de Kechiche, remarquables de naturel et de spontanéité, irriguent le film d’un bout à l’autre. Le part-pris d’une fin ouverte laisse place à l’interrogation et l’on conserve longtemps un lourd sentiment de malaise.

« La Graine et le mulet » est une tentative de peindre la France d’aujourd’hui, celle des petites gens rarement mis en lumière. Par sa générosité et son intelligence, Abdellatif Kechiche réconcilie cinéma d’auteur et cinéma populaire, et ravive la flamme d’un langage universel, celui du cœur.

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Commentaires
M
je viens d'apprendre que "la graine et le mulet" est le premier film de Hasfia Herzi, mais surtout qu'elle a affirmé,lors de son audition, faire de la danse orientale alors qu'elle n'en avait jamais fait.<br /> Bin je sais pas si c'est vrai, mais de toute façon j'ai déjà vu beaucoup de vraies danseuses orientales et aucune n'avait sa sensualité et son hérotisme. Rien que pour cette danse, il faut voir le film. Elle ferait bander un mort.
M
Trés bon film à voir. Troublant.<br /> j'ai reconnu mon beau pays avec son accent ridicule et ses bonnes vielles expressions "ça craint deguin". J'ai été fasciné par Rym, sa danse et son rôle. J'espere la revoir tres vite à l'affiche.
G
Ce film est excellent. Il est plein d'énergie et ne nous prend pas la tête et pourtant les messages passent. Mais le racisme et l'hypocrisie au quotidien n'alourdissent pas le tout. C'est comme ça. C'est la vie. Il suffirait de presque rien, un couscous et de la musique pour tout oublier.<br /> J'ai passé un très, très, très bon moment... et même s'il n'y avait pas eu une cholie brune à côté, ça aurait quand même été très, très, très bon.
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