« No country for old men », Joël et Ethan Coen
USA - 2008, 122'
D’abord une flagrante injustice : comment le jury du dernier festival de Cannes a-t-il pu passer à côté des frères Coen ? Présenté en compétition officielle, « No country for old men » est reparti bredouille : SCANDALE ! Il aurait dû recevoir le Prix du scénario –même s’il est réussi, « De l'autre côté » de Fatih Akin ne tient pas la comparaison- ou (et surtout !) le Grand prix -au lieu de l’ennuyant « Forêt de Mogari » de Naomi Kawase.
Implacable, désenchanté, à l’humour noir ravageur, « No country for old men » marque le grand retour des frères Coen au genre dramatique depuis « Fargo » (1996). Il était temps !
Ne jamais, au grand jamais, prendre ce qui ne vous appartient pas, encore moins quand l’objet usurpé est une valise contenant 2 millions de dollars et que le lieu du forfait est jonché de cadavres, perdu en plein désert, à la frontière séparant le Texas du Mexique. N’importe qui aurait senti le coup fourré, pas Llewelyn Moss (Josh Brolin), cow-boy pur-sang, solitaire, entêté et téméraire; quand il met la main sur ce butin, il ne sait évidemment pas ce qu’il l’attend ; il ne sait pas qu’il a désormais à ses trousses, le terrifiant et implacable tueur, Anton Chigurh (Javier Bardem, hallucinant). Une chasse à l’homme sanglante s’engage, sous le regard impuissant du shérif Bell (Tommy Lee Jones), un homme vieillissant et sans illusions.
Au terme de deux heures haletantes, « No country for old men » est une « claque » cinématographique, une magistrale leçon de mise en scène, comparable aux « Infiltrés » de Scorcese ou plus récemment à « 7h58, ce matin-là » de Sydney Lumet. Ce film condense tout l’art des frères Coen, des dialogues taillés au rasoir, un casting et une direction d’acteur impeccable, l’immensité des espaces, trop grands pour l’échelle humaine, et surtout un univers empreint d’absurde et d’humour noir. Jonglant avec les genres du western, du film noir et du road-movie, ils se servent de leurs références pour inventer un style qui leur est propre.
Tour à tour, chasse à l’homme et réflexion sur la nature humaine, « No country for old men » transcende les limites du film de genre et offre une vision réaliste et acide du rêve américain.
On en ressort saisi, ébranlé, tant la tension du film nous tient en haleine. Multipliant les points de vue, cette nuit du chasseur interroge notre capacité à soutenir la violence, plus précisément la violence gratuite. Quand le personnage de Anton Chigurh, sorte de terminator des temps modernes, pousse le cynisme jusqu’à suspendre le destin de ses victimes au jeu du pile ou face, l’ironie du sort est cruelle. Le traditionnel système de valeurs judéo-chrétiennes –le Bien, le Mal, le Pardon-, représentée par la voix le l'"old men", le shérif Bell, est incapable d'imposer sa loi. Anton Chigurh est un ange exterminateur, produit par la société contemporaine. S’impose alors un terrible constat, celui d’une dégénérescence inédite, contre-nature, qui, à l’image de cette géographie démesurée, assèche toute humanité.
Non, ce pays n'est plus fait pour le viel homme...