« Gone baby gone », Ben Affleck
USA - 2007, 115'
Acteur bankable par excellence, abonné aux blockbusters comme « Armagedon » ou « Pearl Harbor », films patriotes sur le mode « US saved the world », Ben Affeck passe cette fois-ci derrière la caméra et signe un premier long-métrage très intéressant. C’était pourtant loin d’être gagné avec un scénario aussi alambiqué et manichéen que celui adapté de l’œuvre éponyme de Denis Lehane, l’auteur de « Mystic river » ; mais voilà, si Ben Affleck est un piètre acteur, aussi fade qu’un yaourt nature, son talent de réalisateur, lui, est indéniable. La mise en scène extrêmement bien maîtrisée, sauve le film et lui évite les écueils d’un récit à vocation réflexive.
Loin des paillettes et du glamour hollywoodien,
« Gone baby gone » frappe dès les premières minutes par son ancrage
réaliste, dans un quartier pauvre et délabré de Boston. Le décor est celui
d’une Amérique en perdition, d’une Amérique malade, à l’opposé de la vision
héroïque, voire messianique dont Ben Affleck est habituellement le héros ;
malade de ses ghettos, de ses médias et de son hypocrisie sociale. Ce n’est
d’ailleurs pas anodin que le 2ème plan du film soit justement la
bannière étoilée : l’ « american way of life » est en lambeaux.
C’est sur ce fond de misère sociale que le drame va se produire. La petite
Amanda, âgée de 4 ans, a disparu. A la demande de la tante et l’oncle de la
fillette, Patrick Kenzie (Casey Affleck) et Angie Gennaro (Michelle Monaghan),
un couple de détectives privés du coin, viennent renforcer l’enquête policière.
Ils vont bientôt découvrir une réalité bien loin de celle véhiculée par les
médias. Ainsi, derrière l’image télévisée de la mère éplorée, se cache une
alcoolique et une droguée, empêtrée dans des coups tordus. L’intrigue déploie
son intensité dramatique, en laissant constamment planer le doute sur l’enquête
et les personnes qu’elle implique. Dans cette société gangrenée par ses
inégalités, tout n’est qu’apparence. Gang, famille, police, les pistes se
brouillent et viennent déstabiliser l’attente du spectateur. Si la confusion
fonctionne, c’est par le choix d’adopter le point de vue de Patrick Kenzie. Il
est notre unique angle de vue. Nous suivons les avancées de l’enquête en même
temps que lui et nous sommes, par la suite, confrontés aux mêmes dilemmes.
C’est une technique assez courante pour maintenir le spectateur en haleine mais
elle sert ici à merveille les intentions du cinéaste. Car, si la première
partie du film exploite tous les codes du film noir classique –intrigue serrée,
personnages à cran, etc.- la deuxième partie prend une tournure singulièrement
idéologique, jusqu’au coup de théâtre final.
En prenant comme enjeu actantiel, l’enlèvement d’une
fillette et les horreurs que cela laisse supposer, les motivations de Ben
Affleck sont claires, peut-être même un peu trop ;il cherche à interpeller
le spectateur, à le pousser dans ses retranchements quant à sa conception du
bien et du mal. Le travail d’identification fonctionne puisqu’à la fin, nous
nous demandons quelle aurait été notre décision si nous avions été à la place
Patrick.
Bien évidemment, « Gone baby gone » est un film
à message mais il ne tombe jamais dans la caricature ou les effets de style
lourdauds. Il est aidé pour cela par un casting impeccable ; Casey
Affleck, Ed Harris et Morgan Freeman sont parfaitement crédibles, chacun dans
leur rôle… Seul le personnage d'Angie Gennaro est superflu car trop prévible. Elle souligne la portée du choix final de Patrick mais la manoeuvre n'était guère utile.
Sans-doute, la fin est-elle décevante, un peu trop démonstrative,
mais ne faisons pas trop la fine bouche…