« It’s a free world », Ken Loach
GB - 2007, 93'
La sincérité de Ken Loach est indéniable tant l’unité de sa filmographie parle d’elle-même ; de
« Pas de larmes pour Joy » à « My name is Joe » en passant
par « Raining stones », son cinéma fait preuve d’une constante rare ;
depuis près de 40 ans, il dénonce les injustices de la société britannique, au
point d’être considéré, comme il le dit lui-même, comme « le travailleur
social du cinéma britannique ». Ne dérogeant pas à la règle, « It’s a
free world », dernier opus du cinéaste, est un violent pamphlet contre les
dérives d’une mondialisation aveugle, avec l’exploitation des travailleurs
immigrés.
La singularité et la
force du film repose essentiellement sur la métamorphose morale de l’héroïne,
Angie, la remarquable Kierston Wareing, curieux mélange de blondeur angélique
et de dureté thénardiesque.
Au départ, elle fait
figure de mère courage, obligée de supporter les mains baladeuses de ses
collègues, les ennuis scolaires de son fils Jamie et le regard inquisiteur de
ses parents, réprouvant son mode de vie. On retrouve bien évidemment ici le
contexte socio-culturel cher à Ken Loach et son mode opératoire, la forme au
service du contenu. Seulement, le cinéaste va plus loin que d’habitude dans son
portrait non plus extérieur mais intérieur de la barbarie moderne. Comment? par la relation ambigüe qu'il entretient avec son héroïne. Au fur et à mesure de l'intrique, celle-ci se dénature; de victime, Angie devient
bourreau. Son licenciement abusif l’accule à monter illégalement, avec sa
colocataire, une société de travail clandestin. L’exploitation économique des
laissés pour compte de la mondialisation sera son gagne-pain. Sa soif de
revanche sur la société est telle qu’elle finit par être un monstre de cynisme,
utilisant sa main d’œuvre selon son bon-vouloir, comme en témoigne la séquence
où elle demande à l’un de ses employés de satisfaire son besoin sexuel. La
légèreté avec laquelle elle abdique à sa conscience morale est fascinante et
l’on comprend dès lors que rien ni personne ne l’arrêtera.
On serait tenter de
s’interroger sur les raisons d’un tel virage. Angie est un pur produit de
l’ultra libéralisme ; elle ne connaît pas d’autre système que celui régit
par la loi du plus fort . C’est donc avec les même armes que ses anciens
employeurs qu’elle va répondre à l’injustice qui lui a été faite. Décrivant une
femme, rendue inhumaine par la force des choses, gouvernée par l’instinct de
survie, Ken Loach établit un parallèle entre monde animal et libéralisme économique, assimilant les êtres à des bêtes féroces. Le
coup de téléphone passé au service d’immigration est d’une insoutenable
cruauté. L’ennemi est intime et Angie signe sa propre condamnation. Il n’y a
plus d’échappatoire possible dans sa quête insatiable de profit ; et, à la
fin, c’est elle l’employeur-bourreau, abusant de la crédulité des travailleurs
polonais ; la boucle est bouclée.
« It’s a free world » est donc une œuvre majeure dans la carrière du
cinéaste britannique. L’ironie induit par le titre, nouveau chez Ken Loach,
signe son désespoir devant le cynisme du monde du travail.